Le 27 avril, le Sénat a discuté puis voté le Programme de Stabilité Européen, avant l'Assemblée nationale, après une Déclaration du Gouvernement représentés par Ch. Lagarde et F. Baroin.
En effet, le Parlement entre dans la procédure dite du « semestre européen ». Il s'agit de coordonner, avant l'adoption des budgets annuels nationaux – cela relativise encore plus l'exercice budgétaire de la fin de l'année – les politiques budgétaires et économiques de la zone euro en lien avec le pacte de stabilité et la stratégie Europe 2020, qui, au demeurant, s'éloigne fortement de celle qui avait été définie à Lisbonne.
Le pacte de stabilité fait l'objet en ce moment même d'un débat contradictoire au Parlement européen, ce qui peut poser à la France un problème de calendrier, puisque la coordination doit tenir compte des décisions qui seront prises lors des débats du Parlement et de la Commission, selon la procédure européenne.
Sur la forme, je reconnais un progrès par rapport à l'année dernière. Je rappelle que le Premier ministre avait dressé la trajectoire des finances publiques en début d'année dans un courrier, alors que nous n'avions débattu du projet de loi de programmation qu'au début du mois de novembre, quelques jours avant d'aborder l'examen du projet de loi de finances annuelle. Comme l'a dit en commission le rapporteur général, il pourrait s'agir aujourd'hui d'une « actualisation approximative » de la loi de programmation.
En réalité, cet exercice devant être associé à l'examen, au mois de juin prochain, du projet de loi constitutionnelle censé fixer des règles d'or supposées contraignantes pour réduire nos déficits, il a une portée tout autre.
Lors de la présentation au Conseil du semestre européen, la Commission européenne avait pris soin d'indiquer que « le nouveau cadre ne représente en rien une limite à la souveraineté des États nationaux. » Et pourtant, c'est bien le président de la Banque centrale européenne qui déclarait, voilà peu de temps, que nous étions dans une « quasi-fédération budgétaire ».
Si tout cela se fait sous l'étroite surveillance des marchés, lors de la présentation devant nos collègues de la commission des finances de l'Assemblée nationale la semaine dernière, madame la ministre a insisté et déclaré : « La France doit impérativement défendre son triple A ».
Austérité et effort de redressement des peuples européens
Mais un autre paramètre ne doit pas être oublié : les peuples, auxquels il va être demandé essentiellement de porter l'effort de redressement. Certains peuvent se réjouir de connaître une situation moins pire qu'ailleurs, notamment dans les États périphériques. Prenons garde cependant au rejet qui se manifeste un peu partout, de l'idée même d'Europe. Les événements délitent chaque jour un peu plus l'idée même d'une Europe unie.
Une procédure budgétaire, fût-elle constitutionnalisée, peut-elle se substituer aux choix démocratiques d'une politique et d'une stratégie économique, qui plus est à un an de l'échéance cardinale que constitue, nous le savons, l'élection présidentielle ? Certainement pas !
Reconnaissons que l'obstacle est de taille, eu égard à l'ampleur de nos déficits. Certes, la crise est passée par là et nous n'en sommes pas encore sortis, mais elle ne saurait exonérer la majorité sortante de ses responsabilités, car son bilan est négatif. Je ne citerai que quelques chiffres : un déficit public de 7 % à la fin de l'année dernière, alors qu'il s'élevait à 2,7 % voilà quatre ans ; une dette multipliée par deux en dix ans.
La Cour des comptes avait estimé à deux tiers l'impact des choix budgétaires opérés par la droite. Au sujet de la trajectoire 2010-2013, elle note, dans son rapport annuel pour 2011, que le déficit structurel, qui atteignait 5 % du PIB en 2009, s'est encore aggravé, en raison des baisses durables de prélèvements obligatoires qui ne respectent pas les règles de la loi de programmation, à peine celle-ci votée.
Pour nous, socialistes, le rétablissement des comptes publics est un objectif à la fois de souveraineté politique et de justice. Nous ne pouvons pas ignorer le coût des déficits accumulés par les Gouvernements de droite pour le présent et l'avenir, et qui seront difficiles à résorber. Encore faut-il articuler finement redressement économique, justice fiscale et responsabilité budgétaire. Or la trajectoire budgétaire proposée n'est sous-tendue par aucune stratégie économique.
En 2007, le paquet fiscal devait « libérer les énergies » de ceux qui, parmi les plus aisés, étaient susceptibles de contribuer à la croissance, qu'il fallait aller chercher avec les dents. On sait ce qu'il en fut : une économie rentière s'est substituée à une économie productive.
Depuis, le Gouvernement détricote le paquet fiscal, sans pour autant remplacer sa stratégie de 2007 par une nouvelle stratégie économique susceptible de permettre à notre pays de retrouver le chemin de la croissance durable, solide et créatrice d'emplois pérennes. N'oublions pas non plus que les stratégies budgétaires des pays voisins de la zone euro convergent, elles aussi, vers l'austérité, ce qui accentuera la faiblesse de la croissance et, ce faisant, compromettra le rétablissement budgétaire.
C'est le multiplicateur keynésien à l'envers qui est à l'œuvre.
Ces considérations macroéconomiques ne sont pas superflues, quand on voit que l'hypothèse de croissance sur laquelle repose la trajectoire transmise est manifestement optimiste et sa crédibilité, de ce fait, quelque peu amputée.
Le Gouvernement a seulement consenti à baisser sa prévision d'un quart de point pour 2012. Or il s'agit de l'année de tous les dangers. Le consensus économique table sur 1,8 % pour cette même année. Même Rexecode a publié un pourcentage identique en fin de semaine dernière. Le Gouvernement, lui, programme une croissance de 2,25 % en 2012 et de 2,5 % dès 2013.
Le Gouvernement prétend que les clignotants sont ou passeront au vert durablement
Selon ce scénario, la consommation se maintiendra alors que le pouvoir d'achat baisse, fait désormais avéré. L'amélioration des exportations constatée lors des derniers trimestres de 2010 deviendra structurelle, alors qu'elle correspond à un effet de rattrapage consécutif à l'effondrement de 2009 et que l'évolution du commerce extérieur de notre pays sur une période de dix ans fait apparaître la perte chaque année de 0,4 point de PIB.
Donc, les entreprises investiront ; les taux d'intérêt seront modérément relevés ; l'inflation ne sera que conjoncturelle et le prix du baril de pétrole devrait se stabiliser.
Enfin, les collectivités locales, sommées de s'ajuster à la nouvelle donne fiscale et financière depuis 2010, modéreront leurs dépenses, alors qu'elles pourraient légitimement avoir des besoins de financement en milieu de cycle électoral, je pense aux élections municipales.
Monsieur le ministre s'est satisfait dans sa Déclaration d'un chiffre définitif du déficit pour 2010 de 7 %, au lieu de 7,7 %, donnée qui avait déjà fait l'objet d'un réajustement. Je rappelle que les collectivités locales ont contribué pour moitié à la réduction du déficit l'année dernière.
En réalité, ce scénario économique est un conte
mais sans fée ni prince charmant. Ce conte devrait nous conduire à un ajustement de 4 points de PIB, soit, pour satisfaire à la demande justifiée du rapporteur général, 80 milliards d'euros, que le Gouvernement ira chercher en pressurant la dépense. L'année dernière, et nous avions soutenu le rapporteur général, celui-ci avait posé une question, que je reprends en cet instant : « En cas de variation à la baisse de l'hypothèse de croissance, quels ajustements proposez-vous ? Une compression supplémentaire des dépenses, et laquelle ? Une hausse des prélèvements, et laquelle ? »
La commission chiffre par ailleurs dans son rapport une variation de 0, 5 point à la baisse de la croissance et une augmentation du ratio dépenses/PIB de 0, 25 point. Et si l'élasticité des recettes est moindre, l'impact sur le solde peut être double. J'en conclus que le rapporteur général n'est pas définitivement convaincu par la trajectoire qui nous est proposée…
De plus, force est de constater que la documentation dont nous disposons est très lacunaire : elle ne nous permet pas d'étayer la crédibilité de la trajectoire. Ces lacunes se constatent sur l'exécution budgétaire 2010, et a fortiori pour les années suivantes. Mais il ressort des travaux du rapporteur général que, s'agissant des dépenses documentées, l'objectif d'une croissance limitée à 0, 6 % n'est pas vérifié. Pour 2011 et a fortiori pour les années suivantes.
Concernant le volet « dépenses », le Gouvernement confirme la règle de non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux, alors que nous ignorons encore quelles économies auront ainsi été réalisées sur la période passée, mais que nous pouvons tous apprécier très concrètement les dégâts causés au service public, notamment dans l'éducation nationale. Le Gouvernement souhaite même étendre cette règle aux opérateurs de l'État ! À Pôle emploi, par exemple, la situation est déjà effrayante et elle deviendra catastrophique, pour les personnels comme pour les demandeurs d'emplois. On ne connaît pas les économies permises par la réduction du nombre de fonctionnaires mais on sait en revanche que le gel du point d'indice pèsera sur la capacité de consommation.
Le Gouvernement annonce une augmentation de l'effort de réduction des niches fiscales, mais en renvoyant, sans plus de détails, à l'élaboration du budget de 2012 ! Je voudrais rappeler que dans son projet, le parti socialiste, estime à 50 milliards d'euros les recettes que nous pourrions attendre de l'extinction des niches fiscales ! Madame la ministre a qualifié ce chiffrage de « déraisonnable » et d'« irresponsable », ce qui est tout de même bien sévère.
En commission, comme le président et le rapporteur général s'y étaient engagés l'année dernière, nous avons auditionné, outre le directeur du budget et la directrice de la législation fiscale, M. Henri Guillaume, inspecteur général des finances. En effet, la commission a demandé à l'IGF, l'Inspection générale des finances – avec retard, mais mieux vaut tard que jamais – un travail de chiffrage et d'évaluation. Or, pour la seule partie que la direction du budget et la direction de la législation fiscale classent en niche fiscale, l'IGF parvient à une estimation de 100 milliards d'euros. Si l'on y ajoute les niches que le Gouvernement a « déclassées », qui représentent au moins 70 milliards d'euros, le travail auquel nous comptons nous atteler en 2012 n'est ni irresponsable ni déraisonnable.
Monsieur le ministre assure que les différentes mesures annoncées seront neutres, qu'il s'agisse de la sortie de l'impôt sur la fortune pour 300 000 foyers - effective dès 2011 – de la baisse significative des taux pour ceux qui resteront assujettis à l'ISF, ainsi que de la suppression du bouclier fiscal, qui n'interviendra qu'en 2012. Des mesures neutres ? Mais le Gouvernement n'en apporte aucune preuve. Au chèque fiscal qui devait encore être remis à une certaine dame en 2012 – cela fait tout de même tache en année électorale – le Gouvernement va substituer une déduction de l'ISF.
Néanmoins, pour les comptes publics, cela ne change rien ! C'est un tour de passe-passe. Encore une fois, la politique des cadeaux !
Pour ce qui est maintenant des recettes, il faut observer que les prélèvements obligatoires augmentent : ils retrouveront dès l'année prochaine leur niveau de 2007. Et on ignore encore si la nouvelle niche, qui accompagnera la prime versée dans les entreprises privées – je fais allusion à celle qu'a demandée le chef de l'État, y est intégrée. Il est vrai que le débat intra-gouvernemental à ce sujet n'est pas conclu, et que la confusion règne.
Le Gouvernement souhaite masquer la hausse des prélèvements obligatoires
Quoi qu'il en soit, le coefficient d'élasticité présenté est sans rapport avec l'hypothèse de croissance. J'en conclus que le Gouvernement souhaite masquer la hausse des prélèvements obligatoires. Il répète à l'envi qu'il n'y aura pas de hausse généralisée des prélèvements, mais il suffit de faire une simple addition pour constater qu'il y aura bien hausse des prélèvements obligatoires.
Et encore n'ai-je évoqué que le budget de l'État ! Or le budget social - j'en reviens à l'hypothèse macroéconomique - est particulièrement sensible à l'évolution de la croissance et de l'emploi. Cela pose une nouvelle fois la question de la fragilité des prévisions de recettes des administrations de la sécurité sociale.
En conclusion, le passé ne plaide pas en faveur des gouvernements qui se sont succédés depuis dix ans, car ceux-ci n'ont pas respecté les programmations des finances publiques. Le respect de la trajectoire actualisée n'est pas davantage assuré. Nous n'avons aucune visibilité quant aux choix qui seraient faits en 2012 si l'hypothèse de croissance n'était pas au rendez-vous.
La diminution des déficits ne fait pas à elle seule une politique
Enfin, et surtout, la diminution des déficits ne fait pas à elle seule une politique. Il faudrait assurer un équilibre entre mesures de désendettement et soutien à la croissance, par l'emploi, notamment. Or les études les plus récentes démontrent que la fragilité de la reprise pourrait au mieux stabiliser les chiffres du chômage, et cela dans le meilleur des cas. Cet équilibre que nous cherchons – désendettement mais soutien à la croissance, dans le respect d'un rythme compatible avec l'état de notre pays - ne se retrouve pas dans votre programme de stabilité.
Oui, il faut assainir nos finances publiques, mais en prenant le temps nécessaire par une politique économique appropriée, et sans casser la consommation. Le programme de stabilité pèche par un défaut de crédibilité et ne s'appuie pas sur une stratégie économique qui viserait à utiliser les marges de manœuvre dont nous disposons encore. Ce sont deux raisons suffisantes qui justifient notre opposition.