Une réforme constitutionnelle relative à l’équilibre des finances publiques interroge tout parlementaire
A fortiori lorsqu’ils sont membres de l’une des trois commissions saisies au fond et pour avis. Ce qui à mon sens, vue l’importance que veulent attribuer le Gouvernement et la majorité à ce projet, aurait justifié la mise en place d’une commission spéciale. C’est ce qui avait été fait au Sénat et à l’Assemblée nationale quand il s’était agi de réformer l’architecture budgétaire et ce travail fructueux avait il y a dix ans abouti à la LOLF.
La méthode parlementaire avait été payante. Chacun avait alors pu prendre ses responsabilités. Autre majorité, autres mœurs. Celle utilisée par ce gouvernement cette fois-ci ne supporte pas la comparaison.
Les interrogations donc face à cet exercice, les commissaires aux finances du groupe socialiste se les sont posées. Elles sont essentiellement au nombre de deux.
- Le Gouvernement est-il crédible à proposer une réforme constitutionnelle afin de garantir l’équilibre des finances publiques ?
- Le Gouvernement est-il sincère à rendre effectif son projet ?
La crédibilité
C’est peu dire que le passé ne plaide pas pour la crédibilité du Gouvernement à imposer un nouveau corpus de règles aux parlementaires.
Il a fait exploser et la dette (multipliée par 2) et les déficits (7 années de suite en déficit excessif dont la LFI 2008, année de la récession). La première file allègrement vers les 86% de PIB, les seconds sont à fin 2010 de plus de 7%.
Il a multiplié les abandons de recettes fiscales sans rompre avec l’entrain caractéristique des gouvernements de droite aux responsabilités depuis 2002, ainsi ce sont entre 100 et 120 milliards, soit 6 points de PIB qui ont été dilapidés.
Il n’a pas respecté la loi de programmation 2009-2012 qui prescrivait pourtant que les mesures de dépenses nouvelles devaient être gagées sur des recettes. On sait aujourd’hui ce qu’il en est du coût de la suppression de la taxe professionnelle qui peut-être du double de celui initialement prévu et de la funeste baisse de la TVA dans la restauration décidée qui plus est dans une loi ordinaire.
Pour sa défense le Gouvernement invoque la crise mais la Cour des comptes a établi la part de son impact sur le déficit au tiers. Nous sommes encore à 5% de déficit structurel.
Aujourd’hui le Gouvernement invoque à l’appui de son projet les travaux de la commission Camdessus mais avant il y eut la commission Pebereau mandatée en juillet 2005 par le ministre de l’Economie et des Finances Thierry Breton. Sa lettre de mission indiquait que pour la première fois l’impôt sur le revenu servirait à payer les intérêts de la dette. En 2006, le rapport Pebereau avait émis un diagnostic clair : pour arriver à nous désendetter il était indispensable de ne pas diminuer le niveau global des prélèvements obligatoires, et donc de ne plus faire de nouvelles dépenses fiscales. Au lieu de cela le candidat à la Présidence promit de baisser de 4 points les prélèvements obligatoires et le gouvernement issu des élections de 2007 remisait au placard le rapport et sacralisait les dépenses et exonérations improductives au travers de la loi TEPA.
Certes le Président et son gouvernement, à l’approche de l’élection présidentielle de 2012, a détricoté le fameux paquet fiscal mais en fait de rupture il a creusé un gouffre dans nos finances publiques nous privant de toute marge de manœuvre face à la crise et pour en assurer la sortie. Il a livré la France pieds et poings liés à la férule des marchés financiers qui au demeurant ne croient pas plus que cela à la crédibilité de ses initiatives.
L’avenir n’est pas plus solide
La charge de la dette est estimée à 55 milliards d’euros par an à partir de 2013, elle tangentera le budget de l’Education nationale (60 milliards d’euros). Cela en dit long sur la gravité des mauvais choix effectués.
S’agissant du déficit, le premier trimestre 2011 a vu un alourdissement par rapport au premier trimestre 2010. Les derniers chiffres connus du déficit 2011 révèlent une dégradation par rapport à la même période l'an passé (61,4Mds Euros pour 56,2Mds Euros).
Mais il faut parler ici de la trajectoire définie par le programme de stabilité adressé fin avril à la Commission européenne dans le cadre du Semestre européen. Nous disposons désormais des recommandations de celle-ci qui sont contestables dès lors qu’elles suggèrent des mesures qui à notre sens relèvent de politiques nationales et en tout état de cause, ne sont pas en phase avec la stratégie de croissance UE 2020. Nous déposerons dans les jours qui viennent une Proposition de résolution à cet effet car je rappelle que le Pacte de stabilité auquel les trajectoires nationales de Finances publiques doivent se référer sont encore en débat avec le Parlement européen. Ce qui est un paradoxe dans le calendrier parlementaire où le Gouvernement nous fait débattre d'un texte virtuel comme ce projet de loi d’ordre constitutionnel.
La Commission européenne n’est pas allée jusqu’à marquer sa défiance envers la stratégie du gouvernement français mais elle a marqué son incrédulité certainement au regard des pratiques passées mais aussi de l’avenir. En clair, elle ne croit pas au scénario macro-économique sur lequel repose la trajectoire de nos finances publiques. Celle-ci sera toujours contestable dans la mesure où c’est le gouvernement qui l’élabore à partir d’une philosophie et d’une stratégie politiques. Il faudrait changer de méthode et adopter le principe d'une élaboration indépendante comme le font déjà les Pays-Bas qui résistent aux changements de majorité.
Il est vrai que pour nous socialistes, le chemin d’une croissance solide passe par l’emploi seul facteur susceptible, compte tenu de nos fondamentaux, de solidifier la reprise.
Le gouvernement serait bien avisé de supprimer la dernière mesure qui subsiste du paquet fiscal relative aux heures supplémentaires dont le coût pour les Finances publiques est de 4 milliards d’euros et qui est une véritable entrave au retour du niveau d’emploi du 1er trimestre 2008, avant la crise. Il donnerait un signal positif.
Au lieu de cela, il s’égare dans des propositions coûteuses pour les finances publiques et impuissantes à restaurer le pouvoir d'achat (primes aux salariés) et la justice fiscale (Loi de Finances Rectificative qui supprime le bouclier fiscal pour 700M Euros mais prévoit 1Mds8 d'allègement de l'ISF sans que le Gouvernement ait clarifié l'équilibre entre dépenses et recettes du dispositif sur l'imposition du patrimoine !). Le rapporteur général des Finances a qualifié le projet de loi de texte de procédure qui n'aborde pas des questions de fond. Il est vrai qu'il en est une demeurée sans réponse. Elle est de taille : si les prévisions macro-économiques ne sont pas au rendez-vous, quelles mesures seront prises ? Augmentation des prélèvements ou compression des recettes, ou les deux ? Le sujet est tabou d'ici au printemps 2012. Faut-il rappeler que les termes du Pacte de stabilité en débat entre Parlement et Commission européens prévoient une économie pour la France de 20Mds Euros par an ?
Côté recettes ou moindres dépenses, le débat sur les niches est renvoyé au Projet de Loi de Finances pour 2012. C'est pourtant une préconisation de la Commission qui observe que la France dispose de marges de ce côté-là. Quand on voit l'émotion qui a entouré le débat sur l'ISF et l'exonération qui l'accompagne au prétexte du financement des PME sans résultat tangible à ce jour pour disposer de solides PME exportatrices, on peut s'interroger sur la volonté du Gouvernement.
Sincérité ? ou opportunité politique... avant 2012
Si j'ai rappelé ce contexte c'est parce qu'il fait douter de la sincérité du projet constitutionnel. S'il s'agissait de converger avec la loi fondamentale allemande de 2009 on aurait pris la peine de réfléchir aux moyens d'action sur le déficit structurel, l'on aurait établi un calendrier et clarifié les modalités d'application et de contrôle.
Or la mission Camdessus ayant jugé qu'il n'était pas possible de définir ce qu'était un solde structurel, elle lui a préféré la notion de "trajectoire d'ordre structurel" qui a pour conséquence de se concentrer sur les deux facteurs maitrisables par les États donc imputables à des mesures discrétionnaires de celui-ci. Nous adoptons donc un critère purement national et de court-terme. En fait de convergence, nous commençons par la divergence. Mais la référence à une "trajectoire structurelle" suppose la définition d'un "équilibre structurel" et le cas échéant d'un "solde structurel". S'il s'agit d'éviter les dérogations au fil de l'eau, mais néanmoins de le faire en cas de circonstances exceptionnelles, il faudrait bien définir à quoi l'on déroge !
Au lieu de cela, nous avons un "tunnel", c'est-à-dire un minimum de recettes (plancher) et un maximum de dépenses (plafond) qui devraient rectifier les écarts.
Mais la définition des circonstances exceptionnelles est renvoyée à la loi organique, les modalités de compensation des écarts également. On nous dit qu'il y aura un compte de contrôle pour la correction des écarts mais il n'est pas mentionné dans le Projet de Loi constitutionnelle, nous ne disposons que d'une mention orale du Ministre Garde des Sceaux lors de son audition. C'est le législateur organique qui décidera, sans que l'on sache quand. On aurait pu penser que l'urgence requise pour l'examen de la loi constitutionnelle justifiât une action immédiate, mais non, on verra après 2012. On aurait pu penser que la règle fixée justifiât l'accompagnement de modalités précises, non, on verra après 2012...
On est d'autant plus circonspect que la loi organique n'est pas une garantie. On a vu comment lors de la loi sur les retraites elle a été foulée aux pieds par le Gouvernement et la majorité quand il s'est agi de la mise à contribution de la CADES. On a allongé sa durée de vie sans apporter le gage de recettes afférentes.
Quant au monopole des lois de Finances en matière fiscale, nous avons déjà passé en revue lors du débat de la réforme de 2008 à propos de l'article 40 tout l'arsenal des dispositifs à la discrétion du Gouvernement afin de parer aux embardées parlementaires - au demeurant non comparables à celles du Gouvernement. Je rappelle que depuis 2005, ce sont 100 niches supplémentaires qui ont été créées par les Gouvernements de droite. Il nous faut en déduire que nous sommes face à un projet de pure opportunité politique à la veille d'une échéance électorale majeure, nous en faisons la démonstration.
Responsabilité et stratégie de redressement
Je veux conclure en prévenant Gouvernement et majorité qu'ils ne nous feront pas le coup de l'irresponsabilité. J'ai évoqué la LOLF en début d'intervention mais dans la période récente également, nous avons su prendre nos responsabilités. Nous n'avons fait barrage ni au plan de sauvetage des banques en octobre 2008 tout en demandant des contreparties que vous avez refusées, ni à la solidarité de la France aux pays de la zone euro en difficulté tout en vous alertant sur l'impasse où menaient les plans d'austérité draconiens qui leur étaient imposés.
Pas davantage nous vous laisserons mettre en doute notre capacité gestionnaire, celle que nous accordent les électeurs au travers des 58 Départements, des 23 Régions, des milliers de communes et d'intercommunalités que les majorités de gauche conduisent, toutes mises à rude épreuve par la perte de leur autonomie fiscale et financière que vous avez organisée à leur encontre alors qu'elles ont déjà leur "règle d'or" et que la constitution consacre la République Décentralisée.
C'est le débat électoral qui doit confronter les stratégies de redressement de nos comptes entre ajustements par les recettes et les dépenses et pas cette loi d'opportunité, fut-elle de portée constitutionnelle. C'est aux Français d'être juges !